L'épicerie omnicanal est-elle mûre pour la cueillette ? - Retail Council of Canada
L’épicerie omnicanal est-elle mûre pour la cueillette ?

Le commerce électronique d’épicerie se développe partout dans le monde. Pourquoi les épiciers canadiens sont-ils toujours aussi inexpérimentés ?

par Jesse Donaldson

Demandez à Jennifer Lee, de Deloitte, quel est l’état de l’épicerie omnicanale au nord du 49e parallèle, sa réponse est simple.

« Les détaillants d’épicerie canadiens commencent à peine à se lancer dans le commerce électronique », explique la responsable de la pratique de la vente au détail et de l’analyse de la consommation de l’entreprise. « Et ce à des degrés divers. »

Et Carol Wong-Li, analyste principale des loisirs et du style de vie au cabinet d’études Mintel, a tendance à être d’accord.

« Nous, les Canadiens, nous avançons » glousse-t-elle. « Mais c’est juste beaucoup plus lent. Les courses en épicerie sont une activité que la plupart des consommateurs pratiquent chaque semaine. Et notre façon de faire ce type de courses est encore assez habituelle. »

Habituel ou non, lorsqu’il s’agit du commerce unifié et de l’expérience omnicanale, tous deux conviennent que les épiciers canadiens ont des années de retard sur leurs homologues des États-Unis et du Royaume-Uni. Malgré l’avancée de grands acteurs comme Amazon, l’épicerie reste en grande partie distincte de la perturbation numérique qui a affecté le commerce de détail. Cependant, une étude récente du Food Marketing Institute prédit que dans les 5 à 7 prochaines années, 70 % des consommateurs effectueront au moins quelques achats d’épicerie en ligne, ce qui signifie que, plus que jamais, une expérience homogène sur plusieurs plates-formes et points de contact avec les consommateurs est cruciale. Alors, en ce qui concerne le commerce électronique, pourquoi les épiciers canadiens sont-ils toujours aussi inexpérimentés ? Carol Wong-Li et Jennifer Lee s’accordent pour dire que la réponse est compliquée : il s’agit d’une combinaison d’attitudes des consommateurs, de géographie, de disponibilité et de coûts.

« Cela vient du fait qu’au Canada, l’environnement est différent », déclare Carol Wong-Li. « Le retard est dû en partie à une disponibilité tardive. La livraison gratuite en deux jours est offerte aux États-Unis depuis 2005. Ce n’était pas offert au Canada avant janvier 2013. C’est un retard de huit ans. Donc, ce n’est pas nécessairement que les Canadiens sont vraiment en retard. C’est que nous n’avons pas eu le même genre d’exposition. »

Attitudes dépassées

Une partie de ce manque de visibilité est due au fait que les entreprises canadiennes restent timides quand il s’agit de vente au détail en ligne d’épicerie. Bien que les recherches de Google pour « livraison le jour même » au Canada aient doublé au cours de la dernière année, les services de livraison à domicile parmi les principaux acteurs sont incohérents et varient d’une communauté à l’autre. Cependant, l’attitude des consommateurs canadiens est un obstacle plus important à surmonter. Un sondage de TABS Analytics en 2018 a révélé que
17 % seulement des acheteurs achètent actuellement leurs produits d’épicerie en ligne, mais se rendent dans un magasin physique plus de six fois par mois. En 2016, Mintel a constaté que 88 % des Canadiens n’avaient jamais essayé d’acheter en ligne, tandis que 68 % ont déclaré ne pas y trouver d’intérêt. Actuellement, seulement 1 % des ventes de produits d’épicerie au Canada se font en ligne. Dans le reste du monde, c’est 5 à 10 %. Cependant, cette question n’est pas propre au secteur de l’épicerie ; au Canada, 90 % de toutes les ventes au détail ont encore lieu en magasin. Les recherches de Mintel brossent un tableau légèrement différent : en 2015, seulement 12 % des Canadiens avaient déjà acheté des produits d’épicerie en ligne. En 2018, ce taux était de 24 %. Selon Carol Wong-Li, une certaine croissance est en cours, mais comparée à d’autres marchés, elle reste relativement minime.

« Si nous voulons prendre du recul et examiner les consommateurs canadiens de produits d’épicerie dans leur contexte, nous devons examiner de manière plus générale l’adoption des achats en ligne », explique-t-elle. « L’adoption par les Canadiens des achats en ligne accuse un retard important par rapport aux États-Unis. Donc, si vous regardez la proportion de
consommateurs faisant leurs achats tous les mois – ce que nous avons fait – nous avons constaté une augmentation significative entre 2015 et 2018. Mais au Canada, nous n’avons connu aucune croissance similaire à celle observée aux États-Unis. »

Une partie de cela, note-t-elle, est que les préoccupations concernant la fraîcheur et le coût sont une priorité pour les consommateurs canadiens – la fraîcheur étant le facteur d’achat le plus important pour les milléniaux.

« Les gens craignent que ce qu’ils commandent en ligne ne soit pas aussi frais », déclare Carol Wong-Li. « La manière dont nous déterminons généralement la fraîcheur est très tactile. On touche, on sent. Il y a beaucoup de sens physiques qui manquent lorsque nous faisons des achats en ligne. Et il manque aussi un attachement émotionnel. Lors du sondage, nous avons constaté qu’il manquait un processus de découverte : que vous naviguiez dans les allées à la recherche de nouveaux produits ou tout simplement pour comparer les prix. »

« Vous laissez quelqu’un choisir vos tomates ou votre laitue », acquiesce Jennifer Lee. « Et pour le moment, les consommateurs ont la conviction qu’ils peuvent trouver des produits frais mieux que quiconque. Bien que cela semble changer. »

La géographie et la rentabilité entravent également la prolifération du commerce de détail d’épicerie omnicanal ; dans un pays aussi étendu que le Canada, la livraison à domicile n’est pas encore rentable (bien que certaines entreprises, comme Loblaw, utilisent des modèles cliquer-ramasser depuis 2014) et une concentration d’acteurs clés signifie que seuls quelques privilégiés ont les moyens de lancer une nouvelle approche.

« Ici, nous avons les trois grandes marques », explique Carol Wong-Li. « Il y a un certain niveau de confort et de fidélité aux grandes marques. Mais en Chine et aux États-Unis, le marché était déjà très fragmenté, il n’inspirait donc pas le même genre de dévouement, de loyauté ou d’habitudes d’achat. Cela, en soi, était un facteur pour les Canadiens. »

« Au Canada, c’est différent des États-Unis, en ce sens que nous n’avons pas beaucoup d’acteurs clés », ajoute Jennifer Lee. « Vous pouvez compter sur les doigts d’une main le nombre de détaillants d’épicerie suffisamment solides pour faire face à la concurrence dans le commerce électronique. C’est l’environnement en ce moment. Le commerce électronique coûte cher. Ce n’est pas nécessairement un canal rentable. Et bien que les clients omnicanaux achètent davantage en ligne, c’est à la rentabilité de l’expédition directe à domicile que peu de détaillants tentent de s’attaquer. Si vous nous comparez aux États-Unis ou au Royaume-Uni, nous n’y sommes pas encore. Le Royaume-Uni a la densité et les États-Unis ont l’envergure. Ici au Canada, nous n’avons pas vraiment ni l’un ni l’autre. Parce qu’il n’y a que quatre grandes villes, au mieux.

Des idées neuves

Mais tout n’est pas que tristesse et désolation. En fait, selon Carol Wong-Li et Jennifer Lee, il y a de quoi être excité. Au Canada, certains épiciers s’emploient à mettre au point de nouvelles approches ; Loblaw a récemment rejoint Metrolinx pour offrir son nouveau service PC Express (qui permet
aux navetteurs de précommander en ligne des courses pour aller les chercher le lendemain)
dans cinq stations de GO Transit dans la région du Grand Toronto. Et plus loin, les détaillants comme HEMA à Shanghai et Systeme U en France utilisent la technologie pour ajouter plus de transparence et de possibilité de découverte à leurs opérations.

« C’est l’un de mes exemples préférés », déclare Carol Wong-Li. « Ce que [Système U] a fait, c’est imprimer des Snapcodes, puis d’utiliser Snapchat pour montrer la fraîcheur de leurs poissons. Ils ont imprimé ces codes sur les étiquettes d’origine, puis, parce que les Snaps durent seulement 24 heures, les gens pouvaient suivre le voyage du poisson, du bateau au magasin. Ainsi, les gens savaient que ce qu’ils achetaient n’avait pas plus d’un jour. »

La technologie révolutionnaire de HEMA permet aux clients de visualiser l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement, y compris les licences commerciales des distributeurs, les informations relatives à la salubrité alimentaire, et même les températures de leurs camions frigorifiques.

« C’est tellement cool, parce que ça affiche toutes les informations », fait remarquer Carol Wong-Li. « Les consommateurs ont accès à toute cette info vraiment cool qui dit : ‘Hey ! Ce que vous achetez est frais et tout à fait correct’. »

Pour ce qui a trait au futur, Carol Wong-Li en particulier regorge d’idées, notamment en proposant de cliquer-ramasser gratuitement pour profiter du bouche-à-oreille, ainsi que de proposer des repas entièrement préparés pour la collecte les soirs de semaine. Jennifer Lee de Deloitte souligne toutefois que la partie la plus cruciale d’une présence omnicanale améliorée réside dans l’acquisition et l’exploitation des données. De plus en plus dans le monde numérique, les consommateurs exigent une expérience multiplateforme plus fluide et une personnalisation sans précédent. Et la collecte de données offre une occasion sans précédent de répondre à ces besoins.

« Je pense que ces données vont être l’un des facteurs de différenciation les plus importants pour les épiciers », déclare Jennifer Lee. « Pouvoir intégrer toutes ces données va être crucial pour pouvoir intégrer des recommandations basées sur l’IA, ou prédire ce que le client va acheter et à quoi va ressembler son panier. Je pense que ce sera l’objectif dans le futur. Parce que, pour le moment, les enjeux ont déjà été relevés. Vous avez un canal en ligne construit. La question est : quelle est la prochaine phase ? Quelle est la prochaine vague ? Il va falloir faire un meilleur usage des données. Et avec cela, vous pouvez personnaliser le chemin pour acheter mieux et identifier correctement les endroits où faire les bons investissements. Parce que ce ne sont pas de petits investissements. »

Cependant, la transition vers une offre complète sur les réseaux omnicanaux ne se produira pas tout d’un coup. « Il faut faire des petits pas », prévient Carol Wong-Li.

« Les Canadiens sont tellement timides à ce sujet. Parce que les courses sont si habituelles, il s’agit d’ajouter des moyens supplémentaires. Les gens ne veulent pas toujours changer leurs habitudes. Il faut donc trouver des moyens de les sortir un peu de leur zone de confort ou d’essayer quelque chose de nouveau.

Promouvoir la collecte porte-à-porte, par exemple, des repas semi-préparés ou entièrement préparés. Vous pouvez également amener les gens à faire des commandes en ligne – sur des articles de première nécessité, où la fraîcheur n’est pas vraiment un problème. Un sac de riz, par exemple. En outre, les gens ont tendance à être moins engagés émotionnellement avec ce type de catégorie. »

Et à certains égards, conclut-elle, le statut de retardataires des détaillants d’épicerie canadiens pourrait en fait les aider dans les années à venir, mais seulement s’ils reconnaissent que, pour l’instant, l’omnicanal est mûr.

« Je pense que nous allons rattraper notre retard, et je pense que cela va arriver très vite »,
explique Carol Wong-Li. « Le moment est venu pour les détaillants d’y entrer, surtout parce que les Canadiens ne sont pas aussi dépendants d’Amazon. Il est très important que les détaillants de tous horizons s’établissent, pas seulement les détaillants de produits d’épicerie – tout le monde – avant que le même type de dépendance ne se crée. Ce ne sera peut-être pas le cas si les détaillants sont assez rapides pour agir. »