Parti en fumée? - Retail Council of Canada

À l’approche de la légalisation du cannabis, plusieurs détaillants canadiens ont des questions qui leur brûlent les lèvres relativement à l’impact potentiel en milieu de travail

par Jesse Donaldson

« Lorsqu’elles arrivent sous l’influence de ce stupéfiant, ces victimes présentent l’état le plus horrible qu’on puisse imaginer. Elles sont dépossédées de leur volonté naturelle et normale et leur mentalité est celle d’idiots. Si cette drogue est consommée de manière excessive, ça se termine par la mort prématurée du dépendant. « 

– Chef Charles A. Jones, « The Black Candle », 1922

Depuis le 17 octobre 2018, le Canada est devenu le premier pays du G7 à légaliser le cannabis au niveau fédéral. Et ce changement provoque la panique chez certains employeurs. Selon un récent sondage mené par la Public Health and Safety Association de l’Ontario, près du tiers des employeurs sont préoccupés par l’impact de la légalisation sur le lieu de travail, qu’il s’agisse de la présence à la performance, en passant par la sécurité. Et comme l’explique Paula Allen, bien que la situation ne soit pas aussi grave que « The Black Candle » aurait pu le prévoir en 1922, la légalisation nécessitera certainement certains changements sur le lieu de travail.

« Nous verrons un changement en pourcentage, pas un changement cataclysmique », a déclaré madame Allen, vice-présidente de la recherche et des solutions intégratives chez Morneau Shepell. « Je ne crois pas que les choses vont changer massivement. Nous n’allons pas subitement recevoir un afflux massif de personnes sous influence dans le monde du travail, ni de problèmes majeurs comme celui-ci. Cependant, les employeurs devront faire face à certains problèmes auxquels leurs prédécesseurs n’ont jamais eu à s’occuper auparavant. »

« Nous entrons dans un territoire relativement inexploré », déclare Dan Demers, directeur principal du développement stratégique des affaires chez CANNAMM Occupational Testing Services. « La plupart des employeurs sont confrontés à une situation où, croyaient-ils, de plus en plus de personnes se présenteront au travail sous influence et inapte au travail. Ils devront faire face à des situations, des questions et des préoccupations dont ils n’ont jamais eu à s’occuper auparavant. Et ils n’ont jamais été formés légalement pour naviguer de manière sécuritaire dans ce paysage canadien. »

Comprendre l’usage

Selon l’Enquête canadienne sur le cannabis menée en 2017, 23 % des travailleurs à temps plein et à temps partiel consomment de la marijuana et 18 % en consomment sur une base hebdomadaire. Parmi les quelque 10 000 répondants à l’enquête, 21,5 % ont admis avoir consommé de la marijuana avant ou pendant leur quart de travail l’année dernière, et environ 8 % l’ont fait chaque semaine ou tous les jours. Selon « Clearing the Haze », un rapport publié par la Human Resource Professionals Association, le cannabis est actuellement la substance la plus fréquemment dépistée en milieu de travail. Et, comme le souligne monsieur Demers, à l’approche de la légalisation, il y a de fortes chances que la consommation augmente; selon une étude réalisée en 2017 par Quest Diagnostics, le nombre de résultats positifs à un dépistage de la consommation de drogues avait fortement augmenté dans les états américains où la marijuana avait été légalisée à des fins récréatives. Cependant, il souligne également le fait que l’augmentation prévue sera probablement modeste.

« Nous allons voir une augmentation, nous ne savons tout simplement pas à quoi cela va ressembler », dit-il. « Est-ce que cela représentera 25 % de vos effectifs? Non. Pas du tout. Au Canada, nous constatons des taux de positivité de l’ordre de 3 à 4 % lorsque nous testons des industries dangereuses. Si nous suivons les États-Unis, cela pourrait ressembler à 5 à 7 %. »

L’herbe est toujours plus verte

En ce qui concerne les substances contrôlées, la marijuana a une histoire juridique étonnamment courte au Canada. Bien qu’il ait été officiellement inclus dans la Loi sur l’opium et les stupéfiants de 1923, très peu de Canadiens avaient entendu parler du cannabis au début du XXe siècle et un nombre encore inférieur y avait eu accès.

La consommation de marijuana est restée relativement rare au Canada – même en 1964, il n’y avait eu que 39 arrestations dans le pays liées à la consommation de cannabis. Dans les années 1970, ces chiffres avaient commencé à augmenter fortement; en 1978, la police avait signalé que 50 177 personnes avaient été inculpées dans tout le pays. Cependant, avec cette augmentation en nombre, un changement d’attitude vis-à-vis de la consommation de cannabis s’est opéré. En 1970, lorsque la police de Vancouver a violemment dispersé un rassemblement pacifique en faveur du cannabis à Gastown, l’opinion publique s’était largement rangée du côté des manifestants. Un rapport de 1972 de la Commission LeDaine (un groupe chargé d’étudier l’usage de drogues à des fins non médicales au Canada) recommandait l’abrogation de la prohibition du cannabis, en disant qu’elle ne causait que peu de tort à ses utilisateurs. Bien que le rapport ait finalement été mis de côté, la marijuana à des fins médicales a été légalisée au Canada en 1999, après des années d’augmentation de sa consommation culminant dans les années 1980.

Bien que l’usage de cannabis ne soit pas un phénomène nouveau, le nombre d’entreprises ayant mis en place des politiques pour lutter contre son utilisation sur le lieu de travail est faible – 11 % seulement ont des politiques en matière de consommation de marijuana à des fins médicales, selon la HRPA – et environ la moitié des entreprises interrogées craignent que leurs politiques existantes soient insuffisantes pour faire face aux réalités d’un lieu de travail post-légalisation. Heureusement, comme l’expliquent monsieur Demers et madame Allen, la plupart des lieux de travail ont déjà des politiques en place qui peuvent être modifiées pour inclure le cannabis, principalement celles traitant de l’intoxication sur le lieu de travail.

« Nous avons eu d’autres substances intoxicantes ou invalidantes qui sont légales depuis longtemps », note madame Allen. « Il existe déjà des politiques qui contrôlent réellement la manière dont celles-ci sont présentes sur le lieu de travail. Ce n’est pas parce que quelque chose est légal que vous pouvez l’utiliser sur votre lieu de travail. D’un point de vue récréatif, la drogue est similaire à l’alcool. Dans la plupart des lieux de travail, il est interdit de boire au travail et entrer au travail en état d’ébriété est interdit. C’est un énorme problème de santé et de sécurité, c’est un problème de service à la clientèle. Cette logique est toujours vraie, donc il n’y a aucune assise sur laquelle un employé peut se tenir s’il dit : « Je peux utiliser ça au travail parce que c’est légal ».

« Vous n’êtes pas autorisé à avoir les facultés affaiblies au travail, point final », dit monsieur Demers. « Que ce soit pour des raisons médicales, à des fins récréatives ou à cause d’une invalidité sous-jacente, vous ne pouvez pas vous présenter au travail dans un état inapte au travail. Ceci ne changera pas. Ce qui change, c’est dans quelle mesure l’employeur est obligé de prendre des mesures d’accommodement et de suivre un processus d’accommodement. »

Selon monsieur Demers, il est nécessaire d’accommoder les employés qui consomment de la marijuana à des fins médicales, ce qui peut changer quelque chose pour les employeurs. Dans ce cas, il s’agit d’équilibrer la sécurité, le niveau potentiel d’incapacité, les droits de la personne, la confidentialité et les fonctions accomplies. D’autres changements peuvent inclure des décisions concernant les tests de dépistage de la consommation de drogues sur le lieu de travail – l’introduire lorsque cela est justifié ou bien l’abandonner complètement (comme les tests de pré-emploi pour le cannabis – déjà en déclin au Canada et aux États-Unis dans des postes non sensibles à la sécurité). Toutefois, la seule sphère où il n’y a pas lieu de prendre des mesures d’accommodement concerne la sécurité, en particulier les types de postes critiques pour la sécurité qui apparaissent dans la chaîne d’approvisionnement du commerce de détail, y compris le transport et la logistique. Bien que l’intoxication passagère ait une durée de vie relativement courte (en fonction de facteurs tels que le dosage et la tolérance individuelle), l’intoxication résiduelle peut persister le lendemain, affectant des facteurs comme la concentration. Et, dans un poste nécessitant de la sécurité, cela peut être préoccupant.

« Les outils dont disposent les employeurs vont changer dépendant si l’activité professionnelle que vous exercez est dangereuse ou non », déclare monsieur Demers. « Dans un environnement de bureau, par exemple, il serait injustifié pour un employeur de dire : « Vous allez subir des tests aléatoires et, si vous testez positif pour le cannabis, vous êtes congédié ». Ce serait totalement déraisonnable. Il y a un équilibre des intérêts. La plupart des employés de bureau ne travaillent pas en mode sécurité. En outre, s’ils n’ont pas la possibilité de faire connaître à leur employeur une dépendance avec laquelle ils luttent, le processus devient déraisonnable à presque tous les niveaux. Mais pour les chauffeurs de camions de transport traversant le pays, un manque de concentration temporaire pourrait faire toute la différence entre la vie et la mort. C’est une autre histoire. »

De nombreuses fonctions sensibles à la sécurité sont déjà soumises à des tests de dépistage de la consommation de drogues, en particulier dans d’autres industries telles que le pétrole et le gaz. Cependant, certains détaillants peuvent désormais être tenus de mettre à jour leurs politiques, notamment ceux qui vont bientôt vendre le produit eux-mêmes.

« Une partie de cette main-d’œuvre sera soumise à des normes plus strictes que les autres », a déclaré monsieur Demers. « Leurs propres politiques internes en matière d’aptitude au travail devront peut-être être révisées pour tenir compte du fait que les personnes transportant une substance invalidante ne l’utilisent à aucun moment, ce qui est ironique. Vous faites partie d’une industrie, mais à cause de votre fonction dans ce secteur, vous ne pouvez pas l’utiliser. Si vous conduisez ou si vous êtes l’un des pilotes qui transportent le produit, son utilisation ponctuelle devrait être interdite. »

Une industrie naissante

Selon madame Allen lorsqu’il s’agit de mesures disciplinaires, il est souvent nécessaire de mettre à jour le langage des politiques existantes. Cependant, d’autres aspects de la légalisation seront beaucoup plus bénins, comme ceux régissant les odeurs sur le lieu de travail ou le potentiel de consommation lors d’événements sociaux.

« C’est complètement leur choix », dit-elle. « Vous pouvez interdire le cannabis lors d’un événement social au travail. C’est votre choix, en fonction de ce que vous jugez approprié pour votre culture d’entreprise. Il s’agit simplement d’élargir le langage qui est déjà là. »

Environ 20 % des employeurs interrogés par HRPA envisagent même d’élargir leur couverture médicale à la marijuana à des fins médicales. En ce qui concerne la réglementation du cannabis en milieu de travail, monsieur Demers met en garde qu’une grande partie de la responsabilité incombe aux entreprises elles-mêmes. Cependant, pour les organisations qui cherchent à adapter leurs politiques, les options ne manquent pas. En 2017, l’État du Colorado a publié ses propres directives en matière de santé et de sécurité pour l’industrie de la marijuana. Des organisations telles que la Public Health and Safety Association de l’Ontario organisent des séminaires réunissant des experts en médecine, en ressources humaines et en toxicomanie. Dans « Clearing the Haze », la HRPA a publié une liste de dix recommandations, dont plusieurs peuvent être appliquées par les employeurs. Même s’il est parfois difficile de s’orienter sur la marche à suivre, monsieur Demers et madame Allen soulignent qu’avec une politique solide et une bonne consultation juridique, il n’y a pas lieu de paniquer.

« Cela peut sembler compliqué, mais c’est en fait assez simple », dit-il. « Il s’agit d’équilibrer les intérêts de la sécurité avec le droit du travail, la vie privée et les droits de la personne. Si le cadre que vous avez mis en place est basé sur l’idée que vous voulez ramener tout le monde à la maison en toute sécurité et gérer le tout d’une manière digne, professionnelle et confidentielle, alors vous êtes prêt. Si vous concevez une approche, avec l’aide d’un conseiller juridique compétent, et que vous utilisez certaines des très puissantes trousses de politiques existantes et que vous les adaptez à vos besoins organisationnels, c’est un très bon départ. »

Dan Demers est un éminent expert en cannabis au Canada et à l’international. Pour obtenir plus d’informations sur les diverses façons de s’inscrire à la conférence, visitez le site Web rcclpconference.ca/register.

Éclaircir la brume

Selon l’Enquête canadienne sur le cannabis menée en 2017 auprès de quelque 10 000 personnes, près d’un employé canadien sur cinq consomme de la marijuana sous une forme ou une autre toutes les semaines.

1999
Il y a près de 20 ans, la marijuana à des fins médicales est légalisée au Canada.

17 octobre 2018
Le Canada deviendra le premier pays du G7 à légaliser le cannabis au niveau fédéral.

23 %
Le pourcentage de travailleurs à temps plein ou à temps partiel interrogés qui utilisent la marijuana sous différentes formes.

18 %
Le pourcentage des personnes interrogées qui consomment de la marijuana chaque semaine.

21,5 %
Le pourcentage de personnes qui ont admis avoir consommé de la marijuana avant ou pendant leur quart de travail l’année dernière, environ 8 % d’entre elles le faisaient chaque semaine ou tous les jours.